Les arbres maigrichons ruisselaient de pluie. Apparemment, la nuit avait été humide. Et froide. Très froide. Les premiers rayons du soleil, qui filtraient à travers les feuillages, semblaient tomber essentiellement sur une clairière, près de l'orée ouest du bosquet, l'éclairant comme un projecteur. Rien d'intéressant pourtant, ne semblait se jouer dans cette troué aux bords irréguliers, percée par hasard parmi la végétation environnante. Tout paraissait calme, serein. Quelques oiseaux, matinaux et tôt réveillés, s'évertuaient même à chanter, fêtant le retour de la lumière. Les feuilles bruissaient à la brise, produisant une sorte de musique qui auraient plût aux amoureux de la nature.
Cependant, la seule personne susceptible d'être considérée comme un " amoureux de la nature " à des lieues à la ronde semblait être plongée dans un profond sommeil, mi-allongé mi-adossé, tel un pantin désarticulé, au tronc d'un orme presque centenaire, qui, gentiment, avait abrité l'individu de l'éclaboussure de la pluie et de la rosée du matin.
L'homme en question semblait en piteux état. Si sa poitrine ne s'était pas régulièrement soulevée en une respiration lourde mais régulière, on l'aurait peut-être cru décédé, laissé là par d’infâmes brigands qui l'auraient détroussés avant de le tuer. En effet, ses vêtements en lambeaux et les taches de sang qui s'étalaient en nuances rouges sur son visage et ce qui restait de sa chemise blanche montraient clairement que cet homme là avait certainement connu une nuit agitée, apparemment à son désavantage... Un parfum étrange flottait dans les airs… Un mélange contradictoire de l’odeur de la nature ,représentant la vie, et de celle de la mort. Certains auraient pu croire que cette scène était l’épilogue à une histoire tragique, à la brusque fin de dizaines de personnes, mais ce n’était pas le cas. Au contraire, ce n’était que le début. Ce l’était à chaque fois que la lune se montrait, ronde et pleine, regardant l’humanité de son air sarcastique, riant aux éclats de la souffrance qu’elle pouvait apporter à un homme, aussi démuni soit-il.
Une bourrasque de vent venant de la mer s’enfuit de son domaine pour rejoindre la forêt. C’est en virevoltant à travers les fleures et en se fracassant parfois sur la cime des arbres que celle-ci vint effleurer le visage de ce cher Cyriel , continuant par la suite son chemin , ne se souciant guère de l’homme qu’elle venait de réveiller.
A chaque réveil suivant la pleine lune, l’écrivain avait l’impression que ses paupières étaient retenues par de petites fées cachottières voulant lui jouer un tour à leur façon… ou le punir des gestes qu’il avait commis durant la nuit. Lentement, il émergea d’un profond sommeil. Il aurait tant voulu rester endormit. Cela aurait tellement plus facile. Il ne pouvait s’empêcher de repenser à ceux qu’il tuait. Valait-il la peine qu’il survive ,lui , alors que tant de vies périssaient par sa faute. Méritait-il seulement de vivre ? Le seul fait de respirer le faisait culpabiliser… Et pourtant, jamais il ne se souvenait clairement de ce qui se passait dans ces moments d’égarement, à la lueur de l’astre nocturne. Le goût ferreux qu’il gardait à la bouche et qui lui paraissait un poison pouvait bien provenir d’un quelconque animal… ou d’un humain. Des anonymes, tués par sa faute, sans qu’il s’en rende compte. Peut-être valait-il mieux qu’il se jette du haut d’une falaise. L’humanité ne s’en plaindrait pas, et il aurait enfin la conscience en paix. Mais non, un instinct, trop puissant pour être combattu, le poussait à vivre et à mener cette double existence qui lui faisait horreur…
Mais inutile de se laisser aller à l’habitude rassurante de se mettre à pleurer lâchement. Allez Cyriel, tu es en vie, tu n’y peux strictement rien… Conclusion : ferme-la et marche ! Enfin du moins, essaies de te lever…
Chacun de ses gestes, en plus de ses pensées douloureuses, le faisait souffrir. Courbatures, contusions… Il avait encore dû s’accrocher à des branches ou s’enmêler les pattes dans des ronces. Ces blessures demeuraient les seuls vestiges du… phénomène. Observant l’état de ses vêtements, le voyageur poussa un grognement rauque, qui resemblait vaguement, bien qu’il ne s’en aperçoive pas, au feulement d’un fauve. Il faudrait qu’il en rachète d’autres, comme tous les mois… Toutes sa fortune passait en habits. Il ne les conservait jamais plus de 30 jours, ce qui faisait son desespoir.
Enfin debout, après quelques étirements et assouplissements divers, destinés à dégourdir son corps encore plein de la douleur de… l’événement, et surtout à se vider la tête de sombre songes, il chercha autour de lui quelque chos eà manger.
*Oui Cyriel, quelques chose d’autre que du sang et de la chair fraîche…*
Maudite conscience, quand donc te tairas-tu ? Cependant, le garçon n’eut pas le temps de reprendre son inspection, car son ouïe fine (peut-être bien à cause de ses métamorphoses récentes, ce serait alors le seul avantage à retirer des nuits de pleine lune) lui indiquait que quelqu’un arrivait, par ce sentier qu’il apercevait entre les ronces, à sa droite. Ne se jugeant pas présentable, maculé comme il l’était de sang, les cheveux en bataille, plein d’herbes et de poussières, et la tenue d’un mendiant, il s’enfonça lentement dans les fourrés, utilisant son talent presque… animal, pour se dissimuler derrière les branches. Là, dissimulés aux regards les moins attentifs, il retint son souffle, et observa…